Confinement

Homélie de Pâques

P. Etienne d’Hausen

Goûtons la saveur de l’Évangile de ce matin. Les récits évangéliques ont décidément un génie que n’ont pas les autres écrits du Nouveau Testament. Il suffit de regarder les 1ère et 2e lectures de ce matin : l’une, tirée des Actes, est très narrative (on rapporte un discours de Pierre), l’autre, tirée de la Lettre aux Colossiens, est déjà très théologique (« Vous êtes ressuscités avec le Christ… »). L’Évangile est différent de ces deux genres.

Tout y est subtil, suggéré, en clair-obscur.

Et tout particulièrement ce matin – et ce n’est pas un hasard, puisque c’est le cœur de la révélation et de la foi. Comparez avec le récit de Noël, dans l’évangile de la nuit : c’est bien plus simple, les bergers sont prévenus par des anges, ils vont auprès de l’enfant, ils voient et se réjouissent, ils repartent et vont le raconter partout.

Au matin de Pâques, c’est encore la nuit, c’est silencieux, un matin semblable à tous les autres, sans surprise. Pourquoi Marie-Madeleine va-t- elle de bonne heure au tombeau ? Intuition, désir de pleurer seule et de se souvenir ? On ne le sait pas. Elle ne va même pas jusqu’au bout, elle « aperçoit » le tombeau ouvert et repart. Elle ne voit pas de policiers s’agitant autour du lieu, ni de voleurs s’enfuyant ; elle ne voit pas de lumière, ni n’entend de bruit particulier. Tout est exactement comme l’avant-veille, à un détail près. La pierre qui n’est plus là. Marie- Madeleine ne s’arrête pas à réfléchir, ni à regarder de plus près, elle repart aussitôt. Étonnant.

Elle fait aussitôt un scénario dans sa tête : « On (qui ça "on" ?) a enlevé le Seigneur » (bizarre : elle ne le sait pas, elle n’est pas entrée…) et elle court rapporter ça à Pierre et Jean.

Tous deux se mettent à courir dans l’autre sens, vers le tombeau. Et le premier qui arrive pousse un peu plus loin l’enquête : lui, regarde et « s’aperçoit que les linges sont posés à plat ». Et enfin Pierre entre, et lui aussi « aperçoit » (c’est un autre verbe que celui utilisé pour Marie- Madeleine) les linges et le suaire. Jean entre, « voit » (encore un autre verbe) et croit.

C’est étonnant ces 3 verbes différents, pour dire « voir ». Comme si rien n’était vraiment objectif, éclatant, clair. On a l’impression que chacun observe attentivement la scène, comme un détective, et remarque un détail, qui le conduit à une déduction.

« C’était encore les ténèbres » ; « jusque là les disciples n’avaient pas compris » ; nous sommes, je le disais, dans un clair-obscur. Rien ne s’impose. Jean, lui, comprend, mais visiblement Marie-Madeleine n’avait pas compris, et il n’est pas dit ici que Pierre ait compris.

C’est le clair-obscur de la foi. C’est le clair-obscur de la résurrection. Entre Marie-Madeleine qui arrive sur les lieux et repart, Pierre qui arrive et entre aussitôt, et Jean, il y a une différence : Jean marque un arrêt devant le tombeau. Ensuite seulement il entre, voit et croit. Pierre, lui, entre tout de go, sans marquer ce temps d’arrêt. Peut- être s’attend-il à tomber nez-à-nez avec le détrousseur de cadavre ? En tout cas ça ne lui fait pas peur. Mais lui et Jean ne se situent pas au même niveau. Pierre voit, de ses yeux, et ne comprend pas (encore). Jean voit de ses yeux, s’arrête (le temps que Pierre arrive) mais cela lui laisse de temps de laisser ce qu’il a vu descendre en son cœur (comme Marie qui gardait les événements dans son cœur), il entre à son tour, voit (avec son cœur) et croit.

La naissance de Jésus était « évidente », les bergers ni les mages n’ont pas douté qu’ils avaient devant eux un bébé de chair et d’os. Les miracles de Jésus étaient évidents : les malades et leur entourage ne pouvaient pas en douter. L’arrestation puis la mort de Jésus en croix, son corps pesant, rien de tout cela ne prêtait à confusion. C’était bien réel. C’était tangible.

Mais la dernière pièce du puzzle, celle qui fait l’ensemble, celle qui fait office de « pierre angulaire », elle, manque. La résurrection de Jésus n’est pas comme la pièce qui manquait, que l’on met à sa place, et tout devient clair. La résurrection de Jésus n’entre dans aucune catégorie de ce monde, elle ne s’impose pas, sinon par un cheminement personnel où il faut comme Jean : entendre, se mettre en route, voir, s’arrêter, re-voir, et croire. Sinon la résurrection devient un message qu’on apprend avec son intelligence et sa mémoire, et qui reste extérieur à nous. Et aucun message simplement appris ne change notre cœur, ni ne lui ouvre l’éternité de Dieu.

« Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire », a écrit Pascal. C’est très vrai de cette scène du matin de Pâques. Et cela nous invite au temps d’arrêt de Jean, le temps d’un engagement de notre cœur, nécessaire pour que le clair-obscur où, à première vue rien ne paraît vraiment nouveau ni changé, se transforme pour nous en lumière resplendissante « d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. »

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  • Didier Rance Reply
    13 avril 2020 at 5 h 51

    Merci, père Etienne, pour cette belle méditation sur le « statut » de la vision de la résurrection du Seigneur, qui nous pousse à rendre grâces de tout notre coeur pour le don de la foi.

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