Confinement

Homélie du 21 mars

Du P. François Weber

“C’est la miséricorde que je veux, non les sacrifices.” (Mt 9,13). Le Seigneur Jésus cite la première lecture dans une controverse avec les Pharisiens. (NB : La traduction liturgique n’utilise pas les mêmes mots dans les deux passages quoi que le grec soit identique ; le mot eleos qui donne notre Kyrie Eleison traduit l’hébreu HSD que l’on traduit toujours par miséricorde et non fidélité comme ici).

Nous n’avons jamais vraiment pris la mesure de cette idée que le Seigneur pourtant ne cesse de répéter. Tout ce que nous pratiquons (au sens que nous donnons à l’expression “catholique pratiquant”) a la miséricorde pour origine et pour but. Pour origine car elle est l’attitude fondamentale du Seigneur à notre égard, comme nous l’avons sans doute médité et découvert pendant l’année de la Miséricorde Divine en 2016. Il en va de son être même, ce n’est pas une simple condescendance pour les rats de la cale dans le fond du navire (dirait Voltaire). Le Seigneur est miséricordieux car il est amour. Pour but car comme il le répète souvent pendant le carême, le Seigneur veut que nous soyons miséricordieux comme le Père, comme Dieu. Il en va de notre être même, ce n’est pas une simple condescendance à l’égard de notre prochain.

L’immense machine qu’est l’économie du salut : l’institution de l’Eglise, les sacrements, les moyens habituels par lesquels nous restons en communion les uns avec les autres et partageons notre foi, tout cela n’a qu’un seul but : faire grandir en nous la miséricorde en la recevant d’abord du Seigneur.

Cette période de confinement nous renvoie à l’essentiel : la miséricorde, le fruit ultime de l’arbre.

Notre prochain, d’abord, c’est l’homme en danger. Celui que nous risquons de condamner par inadvertance. Je suis frappé, lorsque j’arrive à sortir un peu pour une marche nécessaire, de voir à quel point les jeunes sont peu respectueux des obligations actuelles. J’étais abasourdi de constater que samedi soir, avant la fermeture des bars, tout le monde s’est précipité pour vider un dernier verre, comme s’il était dangereux de le faire à 00h01 et sans danger à 23h59. Cette attitude est navrante. La miséricorde commence par cette très simple obéissance aux ordres qui nous sont donnés.

Notre prochain, ensuite, c’est la personne seule qui n’a pas internet. Alors les journées sont longues et sans doute un coup de téléphone de notre part peut peut-être remonter le moral de ceux qui en ont besoin. Je pense spécialement aux maisons de retraite qui, pour le bien des personnes âgées et leur protection, sont devenues des prisons.

Notre prochain, surtout, c’est celui avec qui nous vivons. Le confinement et l’activité sédentaire sont certainement sources de tensions – si même cela en reste au stade de la tension. La situation va devenir pour beaucoup une terrible épreuve. Et très vite, je pense, nous allons découvrir que le fruit de l’arbre est beaucoup moins beau que l’arbre lui-même. Vouloir vivre de la miséricorde sans les moyens habituels que le Seigneur donne correspond à vouloir faire du vélo à 120 km/h. C’est métaphysiquement possible mais hors de portée.

Car il ne faut pas se leurrer : le Seigneur ne veut pas que l’arbre soit coupé ou la machine en panne. Je veux dire que le Seigneur n’a pas décidé de nous punir en nous faisant subir une Pâque à la maison, un carême sans messe et un temps pascal sans amis, pour nous montrer à quel point nous sommes mauvais. Il tient plus que nous, dans sa miséricorde, à ces moyens qu’il nous propose habituellement, à notre vie sociale, et veut nous les rendre dès que la situation le permettra. C’est l’espérance d’Osée : 1Venez, retournons vers le Seigneur ! il a blessé, mais il nous guérira ; il a frappé, mais il nous soignera. 2Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour : alors, nous vivrons devant sa face.”

Nous n’avons pas d’autre choix, en attendant, que de courber la tête, reconnaître notre péché dans la prière et demander au Seigneur le miracle de faire du vélo à 120 à l’heure.

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