Confinement

Homélie du 29 mars – 5e dimanche

P. François Weber

D’abord, quel plaisir de voir ces rites funéraires ! En ces moments où nous en sommes privés, nous en comprenons toute l’importance : Marthe et Marie sont entourées de nombreuses personnes et cela les soutient énormément. Je pense en ce moment aux personnes qui sont parties dans la “stricte intimité familiale” qui nous est imposée. Nous, confinés dans nos demeures, nous ressemblons plutôt à Lazare enfermé dans le tombeau. Je me demande s’il n’y a pas beaucoup de demeures aujourd’hui qui ne ressemblent pas à ce tombeau fermé. Combien de demeures sentent déjà le renfermé et vivent très mal ce temps de confinement ?

Nous serons vraiment heureux, ce sera vraiment une joie pascale, quand nous entendrons venue du dehors une voix nous crier : “Lazare, sors !” Ce ne sera pas sans doute directement la voie du Seigneur mais celle des médecins ou du gouvernement. N’empêche que derrière cette libération, nous entendrons bien la voix du seigneur ressuscité nous commander de sortir enfin. “Lève-toi, ma toute belle, ma colombe cachée dans le creux du rocher, car l’hiver est passé”.

Quand le Seigneur ordonne qu’on roule la pierre du tombeau, Marthe dans son bon sens le prévient que son frère “sent déjà”. C’est là la réalité biologique de notre condition naturelle, la mort crue, dans son premier degré. Le Seigneur, remarquons-le, s’intéresse peu à la mort biologique, aux rite funéraires par exemple (“Laisse les morts enterrer les morts”) : il sait que par la sienne, qui sera toute aussi crue, aussi biologique, aussi réelle, il va changer profondément le sens qu’elle avait jusque-là dans l’humanité.

“Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort”. On attend toujours – aujourd’hui encore – que le Seigneur soit le garant de notre santé biologique. On a raison de le lui demander : il n’a pas renoncé à faire des miracles. Mais il veut que nous le regardions autrement que comme un réparateur de corps humains : “Je suis la Résurrection et la Vie”. Il y a une dimension plus grande dans l’homme que la vie biologique et il vaut la peine de la sacrifier, si la nécessité s’en impose, pour une cause plus grande : par amour du Seigneur ou par amour des autres. Cette dimension n’est pas l’âme opposée au corps, mais plutôt l’homme dans sa dignité de Fils de Dieu, d’Aimé de Dieu, la dignité proclamée il y a trois semaines sur le Mont Tabor pour toute l’humanité : “Celui-ci est mon Fils bien-aimé”. C’est pourquoi le Seigneur n’a pas peur de l’odeur de Lazare. Il parle à la dignité de Lazare, corps et âme.

Les mesures de confinement actuel sont des mesures de bon sens, qui doivent être appliquées, y compris la suppression des rassemblements religieux – St Charles Borromée, l’histoire le rappelle, avait pris les mêmes dispositions lors d’une épidémie de peste à Milan. Cependant, j’ai peur que ces obligations légitimes ne cachent une anthropologie déviante. On a l’impression que derrière ces mesures, il y a l’idée suivante : “vous ferez vos bazars religieux quand tout sera rétabli mais en attendant laissez-nous faire notre travail d’hommes sérieux”. Je renvoie à la méditation sur le “sérieux” du P. David hier. Les aumôniers d’hôpitaux comme notre frère Xavier n’arrivent pas à atteindre les malades dans leurs derniers instants. Je sais bien qu’on ne peut pas tout demander au personnel médical en un temps d’urgence aussi troublé, mais il ne s’agit pas de leur en demander plus, il s’agit de laisser chacun faire son travail pour la tâche qui lui incombe. Le problème est que la tâche d’un aumônier d’hôpital n’a aucune considération dans la société. Relent de scientisme, toujours latent dans notre société : on nous laisse croire à ce que nous voulons mais en cas d’urgence, nous pouvons remballer nos convictions car elles ne font pas partie de l’horizon rationnel français. Ces histoires de vie éternelle et de dignité éternelle n’ont pas leur place en cas de pandémie : il est temps d’être sérieux. C’est la vie biologique (et économique) qui compte, le reste, ne nous en parlez pas pour le moment. Vous reprendrez tout ça quand on aura réparé la machine, mais en attendant, foutez-nous la paix.

Mais nous, inlassablement, nous proclamons que l’homme a une dignité qu’il faut servir autant que la vie biologique – évidemment sans augmenter les risques de propagation.

Nous sommes enfants d’un Etat qui, il y a un siècle, envoyait ses jeunes se faire tuer dans des massacres contrôlés à 500 Français par jour (telle est la ratio de la Bataille de Verdun sur 300 jours, qui est loin d’être la plus meurtrière). Nous sommes enfants d’un Etat qui a préféré l’orgueil national à la vie au temps de la Terreur. Un Etat qui ne s’est jamais expliqué sur ces choix passés. J’ai toujours des doutes quand il parle et agit au nom de la dignité humaine, quand il nous explique ce qui est sérieux et ce qui ne l’est pas.

Il y a une Vie plus grande que la vie, la Vie qui est dans le Verbe lui-même. La seconde doit être servie de toutes nos forces – merci aux soignants. La première ne doit pas lui être sacrifiée à tout prix. Nous sommes plus grands que cela. Tant que nous ne l’avons pas compris, nous ne saurons pas lire les “signes des temps” que le Seigneur nous envoie.

2 commentaires

  • nicole galand Reply
    29 mars 2020 at 14 h 37

    Qu’il est beau cet Evangile de Jean dans lequel nous trouvons la Foi de Marthe : je crois et l’affirmation de Jésus :
    MOI Je suis la Résurrection et la Vie .Quelle Confiance et quelle Espérance pour nous !
    Par contre que de douleur votre homélie contient dans ce que nous vivons tous et que vous exprimez devant la maladie , la solitude et la mort sans le soutien de ceux qui sont les êtres chers !!
    Je pense après avoir lu et relu ce que vous avez écrit à Saint Jean-Paul II : France fille ainée de l’Eglise qu’as-tu fait de ton Baptême ? Quand nous pourrons sortir de ce confinement ,que le virus sera vaincu ,je souhaiterais que comme l’avait demandé le général De Gaulle que le TE DEUM soit le ralliement de tous les chrétiens dans les eglises du monde entier . C’était le temps de la grandeur de la France et des valeurs morales et religieuses !
    Nos pensées vont vers tous nos frères qui ne peuvent pratiquer leur Foi ,dans les pays totalitaires et nos MERCIS à
    tous nos Pasteurs qui assument leur engagement en faisant vivre et grandir notre Foi par les Messes en direct ,les méditations , dont nous avons tant besoin ,et les prières
    Merci et prenez bien soin de vou

  • Isabelle Bridet Reply
    29 mars 2020 at 23 h 28

    Prions pour les malades privés de l’assistance d’un prêtre avant de mourir, prions pour notre père Xavier et tous les aumôniers d’hôpitaux . Seigneur entends nos prières !

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