Confinement

Homélie du dimanche 15 novembre

P. Bruno Gonçalves

Chers frères et sœurs

La parabole bien connue des talents est pleine d’enseignements sur la manière dont Dieu initie avec l’homme, sa créature, une relation tout à fait singulière et de grande qualité. Tirons-en pour nous quelques leçons salutaires.

Première leçon. Il est donc question d’un homme qui, partant en voyage, remet de son bien en dépôt à tous ses serviteurs avant son départ. Arrêtons-nous d’abord sur ce point. L’homme “confia ses biens” dit le texte. En soi, rien ne l’y obligeait, il décide pourtant lui-même d’associer ses serviteurs à la gestion de son patrimoine. Ainsi Dieu n’a nul besoin de l’homme sa créature mais par une douce bienveillance veut que l’homme soit associé au règne de Dieu. Nous savons même que Dieu va plus loin puisqu’en la personne de son fils, il remet même sa propre vie entre nos mains non seulement au jour du vendredi saint mais encore à chaque célébration de la messe. Ce que nous sommes, en termes de qualités, de charismes ou de talents de toutes sortes sont d’abord le fruit de bienveillance de Dieu à notre endroit. Ils ne sont pas complétement nôtre, comme une réalité que nous posséderions. Ce que nous sommes, les dons qui nous semblent être nôtres nous sont remis en intendance, à charge pour nous de les faire fructifier. C’est là toute la responsabilité de l’homme. Les dons que Dieu m’a donnés le sont pour fructifier et rendre gloire à Dieu qui en est à l’origine et le seul vrai dispensateur. C’est d’ailleurs bien ainsi qu’il faut comprendre la première lecture qui fait l’éloge de la femme parfaite considérée comme celle qui mérite des éloges pour avoir fait grandir par son travail les dons reçus de Dieu. La finale de la lecture nous enseigne par ailleurs que “ses œuvres disent sa louange”. C’est en développant les talents que Dieu nous a donné que nous lui rendons toute gloire. Pour se faire, Dieu nous laisse le temps. Avez-vous remarqué que le texte précise que le maître ne revient que “longtemps après”. C’est la marque de la douce patience du Seigneur qui donne à chacun le temps pour qu’il fasse fructifier les dons accordés. Sachons l’utiliser sans précipitation pour que la récolte soit réalisée à maturité.

Considérons maintenant une autre leçon. Le maitre a donné à tous les serviteurs au moins un talent mais ne les a pas repartis apparemment de manière égale entre eux. L’un en reçoit 4, un autre 2, le dernier un seul. À l’époque de Jésus, un talent équivaut à environ 6000 pièces d’argent soit 20 km au moins. C’est donc une somme considérable à cette époque où le métal d’argent avait une forte valeur. Chacun de nous a donc reçu au moins un don d’une très grande valeur, personne n’est oublié de Dieu et c’est un devoir pour nous de considérer avec lucidité que toute vie est précieuse et a du prix au yeux de Dieu. Dieu a embelli toute vie en l’habillant de ses dons et un seul de ces dons suffit à nous habiller comme un enfant de roi.

On peut cependant s’interroger sur le nombre différent de talents distribués. Tout d’abord, chacun reçoit suivant la libéralité de Dieu qui repartit ses dons selon nos besoins qu’il connait mieux que nous. Dieu donne aussi selon ce que chacun est capable de porter. Mais, plus encore, ce qui importe, ce n’est pas tant le nombre de talents distribués mais la manière dont on les fait fructifier. Les deux premiers serviteurs ont rapporté à leur maitre autant que celui-ci leur avait confié indistinctement de ce qui leur avait initialement donné. C’est bien cela que le Seigneur considère et qui les fait entrer dans la joie du Maître.

La manière de faire fructifier le bien reçu sera notre troisième leçon. Il y a tout d’abord les deux serviteurs qui entrent dans la joie de leur maitre. Que l’homme fasse la joie de Dieu constitue sans doute un sujet d’émerveillement. C’est notamment le cas lorsqu’il se convertit comme on peut le lire dans l’évangile de Luc avec la parabole de la brebis perdue. Faire la joie du maitre et y communier est sans doute la marque d’une vie accomplie. Selon Hugues de saint Victor, pour gouter à cette joie, l’homme doit cheminer de joie en joie, délaissant celle de la terre pour choisir celle du ciel. L’homme en effet s’attache facilement à la joie qui provient du monde faite de l’opulence terrestre. La convoitise, le désir de posséder ou de connaitre plutôt que le désir d’aimer, autant de joies extérieures qui non seulement sont passagères mais encore peuvent entrainer loin de Dieu, comme lors de la chute originelle. C’est en quelques sorte la joie du serviteur paresseux qui jouit de n’avoir rien à faire pour faire fructifier le talent reçu.

Une autre joie selon le même Hugues de saint Victor est celle qui provient d’une bonne conscience. C’est celle du serviteur qui a accompli ce qu’il avait à faire. ici les deux premiers serviteurs peuvent avant même le retour du maitre gouter la joie simple d’une conscience sereine d’avoir fait ce qui était en leur pouvoir pour faire fructifier le bien qui leur a été remis. Cette joie est pour part intérieure puisqu’elle touche à sa propre conscience. Elle l’interroge sur ce qu’il faut faire ou pas, elle peut provoquer un examen de conscience et éventuellement faire naitre en nous le juste mouvement de repentir et de conversion souhaitables. Durant la longue absence du maitre, peut-être que les serviteurs n’ont pas été tout le temps à la hauteur de la gestion qui leur a été confiée. Il a fallu revenir à une discipline plus rigoureuse et gouter la joie de celui qui se convertit alors que le maitre approche.

Ces deux types de joie nous laissent cependant en attente d’une autre plus accomplie. C’est celle que l’homme ne peut pas se donner à lui-même et qui ne vient ni de la terre ni de l’agir de l’homme mais de la seule libéralité de Dieu. Seul Dieu en effet nous faire entrer sans sa joie qui ne connait pas de limite étant la joie éternelle. Là encore nos mérites ne peuvent nous l’acquérir, tout comme l’homme ne peut se donner à lui-même les talents dont Dieu seul dispose. Cette joie, Dieu la communique à qui veut avoir part avec lui. Ce comportement est tout à l’inverse de celui du serviteur paresseux. A lire l’évangile, on se rend compte que ce malheureux est aussi qualifié aussi de bon à rien et de serviteur mauvais. Non seulement, il refuse d’être associé à la bienveillance du maître qui lui partage son propre bien, mais plus encore il se constitue le juge de celui-ci : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur” dira-t-il. C’est le propre que la lâcheté peccamineuse de l’homme d’accuser plutôt que de demander pardon. C’était déjà le reflexe d’Adam accusant Dieu de lui avoir donné une épouse : “c’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné à manger le fruit de l’arbre” dira-t-il. Se mettre hors de la miséricorde divine empêche l’homme de pouvoir la recevoir du fait de la fermeture de son cœur.

Certains trouveront peut-être que la sentence est rude. Après tout cet homme a-t-il commis le mal ? il s’est juste abstenu de réaliser un bien possible et sans doute souhaitable.

À cela, il convient de rappeler deux choses importantes. Tout d’abord, il ne faut pas oublier que le bien dont il s’agit n’était pas le sien mais celui de son maitre. Nous croyons toujours que non ne devons rien à Dieu de la manière dont nous développons ou pas nos propres talents mais nous faisons ici la même erreur. Ensuite, il ne suffit pas de ne pas faire le mal pour être en compte avec Dieu, il faut encore faire le bien. Se contenter d’une non action, c’est assortir la construction de notre vie par un coefficient négatif. Ainsi, ne pas dilapider le bien ne suffit pas, il faut encore le faire fructifier. Pour le faire comprendre à ses fidèles, St Césaire d’Arles prend l’exemple du Serviteur qui certes ne vole pas les bêtes du troupeau de son maitre, ce qui serait gravement coupable, mais néglige de les nourrir correctement ce qui constitue évidemment une faute. Un fiancé épouserait-il sa fiancée au motif qu’il ne la déteste pas ? Certes pas, il le fera au contraire pour un motif positif, le seul qui vaille d’ailleurs, il l’aime vraiment.

Chers amis, à notre tour, aimons ce maitre qui nous partage et son bien et sa vie, rendons lui gloire en faisant fructifier les bien reçus de lui comme une louange à sa gloire. Nous entendrons alors nous aussi ces mots qui nous donnent pleinement accès à lui : “Serviteur, bon et fidèle, entre dans la joie de ton Seigneur”. Amen.

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  • nicole galand Reply
    15 novembre 2020 at 8 h 55

    Merci Père pour ce long commentaire qui peut être longuement approfondi et médité
    Souvent on pense que le Seigneur donne beaucoup à certains et si peu de talents à d’autres (à nous-mêmes en particulier ) et c’est bon de lire et d’entendre que ce n’est pas la quantité de talents reçus qui importe , mais la façon dont on les fait fructifier , cela nous rassure , d’autant plus que nous savons que c’est toujours l’Esprit qui agit en nous
    et puis cette phrase sur le temps : Dieu est patient et nous laisse le temps de faire fructifier les talents confiés

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