Confinement

Homélie du Vendredi Saint

P. François Weber

D’habitude, nous vivons le Vendredi Saint dans une ambiance extrêmement contrastée. Les terrasses de la place St Epvre sont pleines de monde pour peu qu’il fasse beau, d’autant qu’arrivent chez nous les Mosellans pour goûter leur jour férié hérité du concordat. Du Cours Léopold, les odeurs des kebabs et des churros viennent titiller notre estomac vide en ce jour de jeûne, et nos oreilles perçoivent avec surprise les hurlements de l’Airmax quand il dépasse des toits. On se dit, chaque année, que l’ambiance devait être sensiblement la même autour de Jésus – une ville en fête, en mouvement, qui passe indifférente devant ces corps en croix.

Cette année, c’est le Samedi Saint, c’est le shabbat. Un aspect du shabbat, du moins, celui du confinement. Celui du silence dans les rues, de la distance légale qu’il faut mesurer avec soin pour ne pas contrevenir à la loi. Et malgré tous nos efforts et nos bruits de casseroles à 20h, c’est un silence de mort, c’est un silence d’angoisse – nous savons bien que chaque jour plombe la vie active de notre pays, que chaque jour qui passe, avec son lot de malades et de morts, rend plus problématique une reprise facile. L’attente de la Résurrection pour les disciples n’est pas une attente paisible – ce n’est, d’ailleurs, pas une attente de la Résurrection. C’est l’attente de la fin du confinement pour rentrer chez soi reprendre sa vie d’avant. Dans ce silence, le Lion repose, le Roi dort. Tout est accompli, la terre après avoir tremblé reprend son immobilité.

Quelle est cette œuvre que Jésus a accomplie ? Le oui au Père. Et cette œuvre, il l’accomplit toujours, lui le Ressuscité, il l’accomplit dans la joie mais il l’accomplit sans cesse. Nous pouvons croire que Dieu dort en cette période de pandémie, mais rien n’est plus faux. Dieu est au combat. Au combat à chaque agonie, auprès de chaque malade. Au combat auprès de chaque soignant. Nous avons bien raison de remercier les soignants et de prier pour eux. Mais n’oublions pas les oui obscurs, ceux que personne ne voit. Le oui de Jésus à Gethsémani est un oui obscur, personne n’en est témoin car les témoins ne comprennent pas encore ce qui s’y joue. L’obéissance obscure aux ordres de l’Etat, la colère que l’on ravale, le service que l’on rend, la parole douce que l’on profère, ce sont des oui obscurs, que seul Dieu voit – et ce sont des combats de Dieu. Aujourd’hui le Seigneur en croix n’est pas dans les églises, il est dans nos familles, dans les chambres d’hôpitaux, dans la rue, dans les appartements sordides, dans les cœurs de ceux qui ont un oui à dire, un oui parfois obscur, parfois tout petit, qui les crucifie.

Le Seigneur est au combat et nous le prions. Qu’il nous donne cette lumière inattendue de la Résurrection. Nous l’espérons. Peut-être que nous devons nous préparer à joindre l’attente de la Résurrection à celle de la Pentecôte – nous voulions faire de la Pentecôte notre sommet de l’année et le Seigneur, je crois, nous prend au mot. Que l’absence angoissée du Samedi Saint devienne attente paisible du Cénacle. Car le Seigneur nous le rappelle : son combat, il l’a gagné, il a vaincu le monde.



BONUS. Vous trouverez ci-dessous un morceau intitulé "Hebdomada Sancta", morceau électro-jazz que j’ai composé en mêlant plusieurs thèmes grégoriens du Vendredi Saint. On reconnaîtra les Impropères, le Crux fidelis (ou En acetum), ainsi qu’un des Kyrie des temps de pénitence.

2 commentaires

  • Isabelle Bridet Reply
    10 avril 2020 at 12 h 41

    Une question pour les nuls,
    Le Roi qui dort, c’est bien le Christ ?
    Le Lion, qui est-ce ?

    • Webmaster Reply
      10 avril 2020 at 14 h 13

      Pareil – voir la Grande Homélie pour le Saint Samedi demain.

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