Bienheureux Giovanni Giovenale Ancina

Mémoire liturgique

Fêté le 30 août

Biographie

AncinaNé à Fossano, le 19 octobre 1545, le Bienheureux Ancina arriva à Rome en 1574, après avoir suivi d’excellentes études à Montpellier, à Padoue, à Mondovi et à l’Université de Turin où il fut reçu Docteur en Médecine et en Philosophie, ville où il enseigna trois ans tout en exerçant sa profession.

Les très bons talents littéraires et musicaux que le Père Giovenale développa se joignaient à la profonde connaissance théologique étudiée à Rome en suivant les cours de Saint Robert Bellarmin et des meilleurs théologiens du Collège Romain ; si bien qu’à l’examen pour l’épiscopat, Ancina soutint l’épreuve en présence du Pape Clément VIII qui affirmera n’avoir jamais entendu aucun candidat aussi préparé. L’humble César Baronio – dont Ancina revit les épreuves des Annales Ecclésiastiques par volonté du Père Philippe – dit de son confrère : « Un nouveau Saint Basile ».

Arrivé à Rome en 1574 dans la suite du Comte Madruzi de Challant, ambassadeur de Savoie auprès du Pape, Giovanni Giovenale, qui avait eu déjà de fortes expériences spirituelles dans sa Fossano natale, fréquenta avec un vif intérêt la prédication d’illustres religieux, sincèrement tendu vers la recherche de la volonté de Dieu sur sa vocation. Au printemps 1576 il arriva à l’Oratoire, et les paroles qu’il y entendit le touchèrent comme cela ne lui était jamais arrivé.

Il en témoigne lui-même dans une lettre immédiatement envoyée à son frère, Giovanni Matteo qui se trouvait dans le Piémont ; lettre dans laquelle nous lisons la fraîcheur de cette découverte : « Depuis quelques jours j’ai adopté un nouveau style de vie et je vais à 20 heures à l’Oratoire de Saint-Jean des Florentins, où ont lieu chaque jour de très beaux raisonnements spirituels sur l’Evangile, les vertus et les vices, l’histoire de l’Eglise et la vie des saints. […] A la fin on fait un peu de musique pour consoler et récréer les esprits harassés par les discours précédents. Je vous promets que c’est une très belle chose, d’une grande consolation et d’une grande édification ; et je suis contrarié que ni vous ni moi nous ne sachions l’année dernière que se faisaient de si nobles et honorables rencontres. Mais sachez maintenant que ceux qui ici raisonnent sont des personnes qualifiées « in sacris », d’un grand exemple et d’une grande spiritualité. Ils ont pour responsable un certain Père Messire Philippe, florentin, et âgé désormais d’une soixantaine d’années mais étonnant par bien des aspects ; spécialement par la sainteté de sa vie, son admirable prudence et sa dextérité à inventer et à promouvoir des exercices spirituels, comme il est aussi l’auteur de cette grande œuvre de charité qui s’accomplit à la Trinité des Pèlerins cette Année Sainte. […] Beaucoup accourent à lui pour des conseils, spécialement ceux qui vont entrer en religion. Et j’ai entendu que déjà il a fait le nécessaire pour beaucoup […]. J’ai parlé un peu avec lui il y a quelques jours, introduit par l’un de ses disciples plus cher et plus mortifié que les autres (Il s’agit de César Baronio). En somme, il m’a vu, m’a entendu volontiers ; il m’a exhorté surtout à l’humilité. Puis il désire que je me prépare bien pour faire une confession générale, ce qui se fera la semaine prochaine. Il doit me donner son avis sur mon entrée en religion et dans la vie solitaire. Dieu veuille que vous soyez aussi avec moi, comme autrefois, mais bientôt, avec l’aide de Dieu, afin que dès que possible, abandonnant le soin des affaires séculières, nous embrassions, comme vous le savez, une vie nouvelle. Entre temps je vous écrirai tout ce que ce Saint homme me conseillera dans le Seigneur, depuis qu’il passe les nuits en prière »…

Le Père Philippe, qui scrutait les âmes, le fit attendre bien trois années avant de lui exposer la route de sa vocation : non pas l’Ordre des Chartreux où il pensait devoir entrer, mais l’Oratoire ; et pour son frère aussi. En octobre 1580, il fut accueilli dans la Congrégation : après une vie – 35 ans – passée dans les aises de sa condition, Giovanni Giovenale se dispose avec une prompte obéissance à une humilité à toute épreuve, vécue dans l’exercice des plus petits services, heureux de cet effacement qui lui permettait, d‘une certaine façon, de répondre aussi à sa propension pour la solitude. Mais le Père ne le laissa pas longtemps dans cette condition : après un an il le fit ordonné diacre et voulut qu’il commençât à prêcher à l’Oratoire. Ce fut devant ses premières expériences que Baronio disait : « Aujourd’hui nous devons rester très reconnaissants au Seigneur car nous avons acquis un nouveau Basile ».

Avec une exquise sensibilité d’âme et des exemples profonds de piété, Giovenale prêchait les sermons quatre fois par semaine, toujours disponible aussi pour remplacer ceux qui en étaient empêchés. En même temps chargé de l’enseignement de la théologie aux jeunes étudiants de l’Oratoire, il y apporta sa préparation accomplie à travers de larges études et un ardent amour de la Vérité contemplée dans la prière. Ses cours, manuscrits conservés pour la plupart, révèlent la profondeur de son esprit, l’étendue de ses connaissances, l’humilité dans son exposition. Dans l’une de ses introductions il affirme sincèrement qu’il parlerait sans enseigner, mais en disant, même en s’abaissant, apprendre lui-même la Vérité « qui nous sublime tant ».

Ordonné prêtre le 9 mai 1582 à Saint-Jean de Latran – son frère G. Matteo fut ordonné diacre le même jour– il sentit profondément toute sa vie la grandeur et la responsabilité de l’Ordre reçu : « La considération de mon indignité, obligée à administrer les sacrements et la Parole de Dieu, qui sont les offices les plus nobles et les plus hauts dans l’Eglise – écrira-t-il un jour depuis Naples au Père Philippe – m’a fait blanchir avant le temps ».

Son amour envers le Père Philippe fit de lui un disciple digne du maître. « Cette admirable figure du serviteur de Dieu – écrit le Cardinal A. Capecelatro dans la Vita di S. Filippo – est la très semblable figure de Saint Philippe, et dans certaines particularités la représente si bien qu’en regardant l’un tu crois voir l’autre… La vie de Giovenale oratorien fut admirable. Peu d’hommes avaient en eux une nature autant capable d’imiter Saint Philippe comme lui, et très peu n’en eurent une volonté ardente aussi similaire. Pas plus de cinq années passées dans la Congrégation de Rome lui suffirent pour se rendre un parfait disciple de notre Saint ».

Les témoignages d’affection et de tendre dévouement d’Ancina envers le Père Philippe sont nombreux. Dans une lettre de Naples, datée du 1er mai 1587, il lui écrivait : « La fête de Saint Philippe glorieux Apôtre l’invite à écrire à votre Révérente personne, serviteur inutile devant Dieu, prodigue, fils bon à rien, à mon Père très indulgent et très bon. […] . Ce matin j’ai appliqué le Saint-Sacrifice de la Messe pour vous seulement, pour que le Seigneur vous conserve et vous apporte du bien jusqu’à ce que vous voyiez les fils de vos fils »… Dans une autre, du 24 mai 1591, il écrivait : « La lettre très appréciée de votre Paternité m’a fait exclamer plusieurs fois et à haute voix : De qui cela m’arrive-t-il ? Tant cela m’a rempli de consolation et d’étonnement […] je n’ai pas de concepts ni de paroles suffisantes pour vous remercier dignement pour tant d’honneurs et de faveurs. […] Je prie le Seigneur qu’il me rende à l’avenir digne de recevoir de telles faveurs tant que vous vivrez et que je suis loin de votre présence gracieuse et joyeuse toujours fructueuse ; bien que par le respect dû et l’affection spéciale que je vous porte, vous êtes toujours présent […] Mon Père, mon Père, triomphe et maître d’Israël, bénis et multiplie ta bénédiction céleste sur moi et sur tous tes enfants, et sur les enfants de tes enfants ». Et l’année suivante en la fête des Saints Papia et Mauro, « nos protecteurs », tandis qu’il confie au Père sa propre préoccupation concernant la santé de son frère Matteo – pour lequel il demande l’indulgence et « un peu de vacances hors de l’Oratoire » – il assure le Père Philippe d’avoir célébré la Messe « pour votre Personne avec la collecte pour le prélat et sa communauté assemblée ».

L’une des dernières lettres au Père Philippe, parmi celles qui ont été conservées, de Naples et datant de fin janvier 1593, exprime la joie du fils pour la santé retrouvée par le Père, et il lui manifeste son âme : « Maintenant, avant que ne se termine complètement ce premier mois de cette année, voici que moi, conformément à mon tribut dû habituellement chaque année, je vous envoie la confirmation de ma proposition solennelle qui est triple, en bonne et due forme et avec des caractères que vous pourrez lire sans lunettes : premièrement, être évêque, JE NE LE VEUX PAS. Deuxièmement, Rome : ni je le veux, ni je ne le veux pas. Troisièmement surtout : L’OBEISSANCE, JE LA VEUX. Et hoc ipsum usque ad mortem (et cela même jusqu’à la mort) ».

L’Oratoire fut pour lui une empreinte qui orienta et alimenta sa vie et son ministère. Parmi les témoignages recueillis dans ses écrits, se trouve une poésie, dans laquelle – avec l’harmonie de l’équilibre, des rythmes et des sons qui révèle en Ancina le poète et le musicien en plus de l’homme cultivé – il chante l’esprit et le but de l’Oratoire : l’intellect humain, capable de s’élever à travers l’exercice de l’esprit, la connaissance du créé et sa beauté, « c’est une grande chose, c’est sûr » (l’Humanisme du Père Philippe et de son école !), mais par elle seule, cette noble empreinte ne suffit pas à l’homme si le cœur est froid ou se languit à cause de l’absence de la « céleste ardeur » (la ferveur religieuse et la chaude dévotion de l’école de Philippe dans laquelle « on parle au cœur » !) ; si l’homme n’atteint pas cet esprit divin qui seul peut donner à l’âme immortelle la joie dont elle a soif et qui la réconforte aussi à l’heure des difficultés ; et si elle ne répond pas par des œuvres bonnes (l’engagement ascétique de la proposition philippine !) à l’amour de Dieu, il ne vaut rien, et encore moins les biens du monde et tout prestige humain. L’Oratoire, avec ses sermons familiers et ses chants, et tout dans cette recherche de « perfection » de l’humain obtenue comme don tandis qu’on monte par les sentiers de la « montagne », aux cimes desquelles brûle pleinement d’amour celui qui sombre dans la communion avec Dieu. Voici le texte en italien et sa traduction:

L’Oratorio
Ch’a l’intelletto human tutto si scopra / l’ente creato, e qui nulla si celi qui l’ingegno s’affine ove s’adopra; / ch’arte, natura e ciel tutto si sveli, // gran cosa è certo, alto maneggio et opra. / Ma vagli a dirne ‘l vero e senza veli, /che pro ne vien se ‘l cor freddo com’angue / o di celeste ardor scarso si langue? // Forma gentile e gratiosa in vista / ben può ella apparir, ma nulla vale, / se lo spirto divin non si racquista / onde sol può bearsi alma immortale, // e fuor di quel si giace amara e trista, / se trafitta la ten piaga mortale. / Nulla è haver monarchie tra mille mondi, / s’a Dio col ben oprar non corrispondi. // Qui tutto fisso è l’Oratorio e intento, / che si desti l’affetto e si riscalde: / a questo mira e tende ogni concento / e ogni suo discorso, in tener salde // sempre l’alme con Dio, vero contento. // Or siam del monte sol giunti alle falde, // ch’a mezzo il dorso e al sacro giogo in cima / tutto n’arde d’amor chi ‘n Dio s’adima ». « C’est certainement une belle chose que l’intelligence humaine puisse découvrir le créé, que rien ne soit incompréhensible lorsqu’on l’utilise, que l’art, la nature et les cieux soient dévoilés. Mais à dire vrai, à quoi sert tout cela si le cœur est froid et s’il manque l’ardeur pour le ciel ? Cela peut apparaître une bonne et belle chose, mais elle ne sert à rien si l’on n’acquiert pas l’esprit de Dieu duquel seul peut jouir l’âme et sans lequel elle reste amère et triste, transpercée par des douleurs mortelles. Il ne sert à rien de régner sur mille mondes si on ne suit pas la volonté de Dieu par des œuvres bonnes. C’est à cela que répond l’Oratoire, et qu’il est destiné avec affection et chaleur : c’est à cela que vise tout discours et tout travail, à tenir toujours ferme son âme en Dieu, vraie bonheur. Maintenant nous sommes arrivés seulement sur les sentiers de la montagne aux cimes desquelles brûle pleinement d’amour celui qui sombre dans la communion avec Dieu».

Lorsqu’en 1586 commença à Naples l’expérience oratorienne, le Père Ancina fut destiné par le Père Philippe à cette Maison à la demande répétée du Père Francesco M. Tarugi ; avec la même ardeur il y développa de multiples activités de prédication et d’études, se donnant aussi à la poésie et aux compositions musicales, dont reste un document très précieux, le « Tempio armonico della B.V. Maria », recueil de chants et de Laudi spirituels à trois, cinq, huit et douze voix.

Pendant une dizaine d’années la capitale du Règne le vit promoteur de rencontres culturelles et formateurs dans divers cercles. Son ardeur apostolique le poussa à entrer dans toutes les réalités culturelles et spirituelles de Naples et la ville lui répondit avec une ardeur extraordinaire. Pour l’aristocratie et le milieu de la Cour – vers qui il regarda avec un profond intérêt pastoral, sans oublier de porter à ce monde les angoisses et les problèmes des pauvres – il fonda l’Oratoire des Princes ; il institua des associations pour les Docteurs, les étudiants, les marchands, les artisans. Il organisa des représentations et des écoles pour ceux qui préparaient les textes et la musique ; il composa de nombreuses œuvres religieuses en prose et en vers, dont la majeure partie est encore inédite. Par cet infatigable dévouement dans les activités pastorales, il mûrit les critères de l’apostolat qu’il suivrait les années suivantes surtout dans le bref moment de son service épiscopal. A Rome et à Saluzzo il rappellera souvent les expériences de Naples.
Appelé à Rome en 1596 alors que se profilait déjà pour lui la nomination à l’évêché de Saluzzo, nomination conclue entre Clément VIII et le Duc de Savoie, le Père Giovenale vécut l’expérience d’un terrible tourment, surtout en 1598, lorsque la décision parut inévitable. Dans une Rome qui connaissait la course frénétique de beaucoup vers les carrières ecclésiastiques, il s’adonna à la fuite, prenant la route de Narni, San Severino, Fermo… arrivant jusqu’à Lorette et poursuivant par d’autres lieux. Par ce geste prophétique – qui le plaçait sur la ligne de la plus pure tradition de l’Oratoire, auquel, malgré les interventions du même Père Philippe, le nouveau Pape, connaissant la valeur de ces hommes, avait déjà soustrait, en 1592, le Père Francesco Maria Tarugi pour l’Archevêché d’Avignon et le Père Giovanni Francesco Bordini pour celui de Cavaillon – le Père Giovenale avait cherché à rester l’apôtre de toujours, mais dans la simplicité du style oratorien.

De son désert qu’il cherchait, on le ramena énergiquement à Rome, et il y fut accueilli par « l’applaudissement de tous » comme on lit dans le « Ristratto della Vita del Venerabile servo di Dio Giovanni Giovenale Ancina, vescovo di Saluzzo » : « Acclamé par tous pour la généreuse fuite de la dignité offerte » ; le Cardinal Tarugi, particulièrement, ne cessait de le louer en disant : « On ne trouve pas de Pères Giovenali qui disent : j’ai fui pour m’en aller dans le désert ». A cause des tractations entre la Curie Romaine et le Duché de Savoie sur les droits que le Siège Apostolique réclamait, la nomination tarda. Officialisée au Consistoire du 26 août 1602, le Père Giovenale dut accepter cette charge.

Il aura sûrement pensé à ce moment aux vers, volontairement populaires, composés à Fermo pendant ses jours de fuite : le « Nouveau chant de Giovenale Ancina pécheur, à l’imitation du Bienheureux Jacopone da Todi (1598) », comme il l’intitula, ou « le pèlerin errant » comme il le dénomma ensuite :
Pastorato gran travaglio: por la vita a repentaglio, quando gregge và a sbaraglio… Vescovado gran tempesta, notte e giorno al cor molesta: se t’aggrada tale festa, fatti avanti, pecorone!”. « Le Pasteur a de grandes préoccupations : il met sa propre vie en jeu lorsque son troupeau va en déroute… L’épiscopat : une grande tempête qui est un tracas, jour et nuit ; si une telle tâche te plaît, mets-toi en avant mon pauvre ami ». Ce n’était pas la peur des fatigues apostoliques qui lui faisait craindre ce service… C’était le souvenir du Père Philippe et de la simplicité de la vie à l’Oratoire ; c’était son humilité, la conscience de n’être rien : “Piscopato de Salluce, lascia ad autro esperto Duce, ca no sei tu sal né luce, ma sol ombra e Cocozzone!”. Evêque de Saluzzo, laisse à un autre cette direction experte, toi qui n’est ni le sel, ni la lumière mais seulement ombre et tête vide ».

L’ordination épiscopale lui fut conférée par le Cardinal Tarugi dans l’aimée Vallicella, le 1erseptembre.

De Fossano où il dut s’arrêter quelques mois à cause des questions récurrentes entre le Duché et le Saint-Siège, et où il commença à exercer son ministère épiscopal, laissant même le souvenir de miracles accomplis par sa prière et sa bénédiction ; aux habitants de Salluzzo, il envoya son premier salut : « une brève lettre écrite avec l’affection intime de son cœur, en un clair témoignage et en gage de l’amour sincère que nous vous portons, comme un père à ses enfants », dans laquelle il présente son programme : « Nous chercherons à visiter les malades, consoler les affligés, soulager les besoins des pauvres selon nos forces ». Il déclarait, en outre, sa volonté de dialoguer avec tous « en des rencontres simples et rapides » ; d’administrer la justice en tempérant la rigueur avec l’équité et la douceur ; son engagement dans la prédication et la catéchèse et son désir de voir refleurir cette communauté chrétienne par la fréquentation des sacrements. Et il concluait : « L’oratoire sera aussi introduit, conforme à la façon et au style utilisé à Rome, à Naples et dans d’autres villes principales d’Italie ».

Arrivé à Saluzzo, il ouvrit le Synode diocésain, institua le Séminaire, commença les Visites Pastorales en appliquant les dispositions du Concile de Trente avec le sens de la fête et la douceur philippine, il se dévoua à la réinsertion des protestants et des hérétiques obtenant dans ce domaine des conversions considérables : parmi eux, le neveu de Calvin qui devint Carme sous le nom de Frère Clément. Il prêcha sans cesse comme il l’avait promis et comme le représente la toile de Borgna sur l’autel qui lui a été dédié à la Cathédrale de Saluzzo. Il saisit toutes les occasions pour annoncer la Parole de Dieu, s’inspirant de toutes les circonstances : comme lorsque, se trouvant à Belvedere Langhe, il improvisa sur le nom de la ville en faisant un jeu de mots (Belvedere signifie aussi : voir le beau, le bien !) : « Que pensez-vous que soit Belvedere ? Peut-être un Milan très populaire et mercantile ? Peut-être une Venise fondée sur la mer ? Peut-être une Naples avec tant de belles choses tout autour ? Savez-vous ce qu’est Belvedere ? Voir Dieu face à face, voir l’humanité du Christ Rédempteur avec les plaies dans ses mains, dans ses pieds, à son côté, souffrant avec tant d’amour par amour pour nous ; voir la très Sainte Vierge Marie sa Mère… tant d’anges et de saints au Paradis. Mes âmes, c’est cela Belvedere : et à cela nous devons tous aspirer en prenant les moyens voulus que sont la confession et la pénitence des péchés et l’observance de la loi de Dieu ».

Innombrables furent les œuvres de renouveau spirituel et de charité effective accomplies par lui en l’espace d’un peu plus d’un an. Il est étonnant qu’une telle masse de travail soit accomplie en un temps si court par un homme tellement dédié à la prière que, parfois, agenouillé dans sa chambre, il ne se rendait pas compte que quelqu’un passait, et il était capable de donner jusqu’à 5 ou 6 heures continues à l’adoration silencieuse du Saint-Sacrement. La dignité épiscopale n’avait en rien modifié son train de vie appris à l’école du Père Philippe : il ne voulut rien de plus que le strict nécessaire ; sa table était très simple, mais il ne manquait pas chaque jour d’y inviter au moins un ou deux pauvres, et quatre les jours de fête ; il choisit pour lui dans le Palais épiscopal les pièces les plus désagréables et il transforma sa Maison – dans laquelle habitait aussi un mendiant connu à Rome et emmené à Saluzzo – en un modèle de communauté dévouée au travail, à la prière et à la méditation, à la célébration de la Messe et aussi au silence à certaines heures de la journée. Monseigneur Ancina ne put renoncer à cette seule richesse : sa bibliothèque, composée – comme celle du Père Philippe – de près de 400 volumes, parmi lesquels figurent des œuvres sur toutes les sciences ecclésiastiques, des livres de médecine, d’histoire naturelle, de littérature.
Son œuvre de réforme du clergé, des religieux, du laïcat chrétien fut interrompue par sa mort soudaine : une suspicion d’empoisonnement – à laquelle ne doit pas être étranger un frère de vie dissolue, touché par les dispositions du saint Evêque – mit fin à ses jours terrestres le 30 août 1604. Son Eglise le pleura avec une immense affection et en conserve un souvenir reconnaissant. Un dernier message sorti de la plume du Bienheureux Ancina exprime encore de façon poétique le grand désir qui soutint toute sa vie et son action apostolique, la soif de Dieu à laquelle ne fut jamais étranger ce désir du martyre que le Père Giovenale avait nourri à l’école fervente du Père Philippe : « Seigneur, je suis heureux de souffrir des peines et des tourments pourvu qu’il soit certain que cela profite à mon âme. Et quelle grâce plus grande, ou quelle plus sublime faveur peut me venir du Ciel que de déchirer le voile, le voile qui me fait de l’ombre, ce corps qui me fait de l’ombre de sorte que ne brille pas pour moi la grande lumière divine. Vienne donc le martyre, conformément à mon désir, détruis-moi par le fer ou le feu, c’est encore bien peu. Pour ce bien de la gloire éternelle, en ce qui me concerne ce n’est pas souffrir que d’être un homme saint et digne ».

Il faut encore rappeler, dans ce rapide regard posé sur la figure illustre de notre Bienheureux confrère, la fraternelle amitié qui le lia à Saint François de Sales, « bourgeon de Savoie » lequel termina ses jours, usé par les fatigues apostoliques, le 28 décembre 1622, l’année de la canonisation de Saint Philippe Néri. François n’avait pas connu personnellement le Père Philippe ; il avait été pourtant en contact à Rome, en 1598-99, avec l’entourage du Père Philippe ; visitant fréquemment la Vallicella il connut et se lia d’amitié particulièrement avec quelques-uns des premiers disciples du saint : le Cardinal César Baronio, le Père Giovenale et le Père Giovanni Matteo Ancina, le Père Antonio Gallonio. Ce n’est pas sans ces rencontres et l’estime mûrie par François pour le milieu de la Vallicella que la « Sainte Maison » fondée par lui à Thonon, dans le Chablais, fut érigée par le Pape Clément VIII en 1598, « iuxta ritum et instituta Congregationis Oratorii de Urbe » et que la Maison dont François fut nommé le premier Prévôt eut comme premier protecteur le Cardinal Baronio.

L’engagement effectué par François de Sales au service d’une très vaste direction spirituelle – avec la profonde conviction que le chemin de la sainteté est un don de l’Esprit Saint fait à tous les fidèles, religieux et laïcs, hommes et femmes – fit de lui l’un des plus grands directeurs spirituels de tous les temps. Et son action qui eut son fondement dans le dialogue, la douceur, l’optimisme serein, fait admirablement écho à la proposition spirituelle de Saint Philippe Néri et à l’école oratorienne, par la syntonie innée que les œuvres de Saint François ont mise en évidence.
Devenu évêque de Genève en 1602, en même temps que la nomination d’Ancina, la correspondance entre les deux Pasteurs fut le lien entre eux : mais il ne manqua pas une rencontre mémorable qui combla de joie le cœur des deux. Et c’est François qui rapporte lui-même cet événement dans l’Eloge qu’il prépara, pour la cause de Béatification de son ami, à la demande du Pape Paul V : étant venu à Turin rendre visite au Duc de Savoie – son souverain car l’Etat de Savoie comprenait aussi le Chablais – François de Sales voulut rencontrer Monseigneur Giovenale. « Pour le saluer, je fis un écart et me dirigeais vers Carmagnola où l’Evêque accomplissait la visite pastorale ». C’était le 3 mai 1603, fête de la Sainte-Croix : invité par son confrère à faire l’homélie, il parla avec tant de ferveur que Giovenale, le remerciant et faisant allusion au nom de famille de Sales, lui dit : « Vere tu es Sal – Vraiment, tu es le Sel » ; et François, faisant allusion avec finesse et humilité au nom du diocèse dont Ancina était l’Evêque (Saluzzo), lui répondit : « Immo tu es Sal et Lux. Ego vere neque sal neque lux – Au contraire, tu es le Sel et la Lumière, tandis que moi, je ne suis ni le Sel ni la Lumière ».
Juste après le départ de Rome où avait commencé le lien étroit d’amitié avec le Père Giovenale, François de Sales lui avait déjà écrit de Turin, le 17 mai 1599 : « De tous les succès rencontrés je tiendrai toujours au courant Votre Révérente Paternité, et ce qui me concerne aussi, c’est une chose absolument certaine » ; et il ne lasse pas passer l’occasion pour manifester à d’autres son estime pour Ancina, comme le rappelle le Prieur de Bellavaux écrivant au nouvel Evêque de Saluzzo : « Le grand attachement que [Monseigneur de Sales] porte à votre Seigneurie Révérendissime se découvre en ceci : qu’il parle de vous avec une affection et une passion très grandes, se réjouissant de vous revoir très vite et vous embrasser en toute charité ; disant avec hardiesse à tous qu’il est le fils de votre Seigneurie Révérendissime et qu’il vous a fait faire évêque, vous proposant avant tous les autres à sa Sainteté ». A Madame de Chantal, après la mort de Giovenale, le même François de Sales écrivait : « Monseigneur l’Evêque de Saluzzo, l’un de mes plus intimes amis, et des plus grands serviteurs de Dieu et de l’Eglise qu’il y a au monde, est passé à une vie meilleure il y a peu de temps avec le regret incroyable de son peuple qui n’a bénéficié de son travail que pendant un an et demi ».
Dans l’Eloge cité, l’Evêque de Genève montre dans l’ami un modèle exemplaire de l’action pastorale renouvelée promue par le Concile de Trente et met en évidence, avec les dons oratoriens d’Ancina, son introspection spirituelle, le don de guérison et le jugement enthousiaste de ses contemporains. L’Eloge se termine par une déclaration précieuse : « Non nemini me vidisse hominem qui dotibus, quas Apostolus apostolicis viris tantopere cupiebat, cumulatius ac splendidius ornatus esset « – Je ne me souviens pas d’avoir vu un homme plus abondamment et splendidement orné de tous les dons que l’Apôtre désire tant pour les hommes apostoliques ».

« Dans l’histoire de la sainteté post-tridentine – lit-on dans un article apparu dans une Revue pastorale italienne répandue – le Bienheureux Ancina occupe une place d’une notable importance. La publication souhaitable de ses œuvres rendrait un service important à la connaissance de l’époque […]. Ancina est sûrement un prophète et un génie de l’évangélisation-communication, dans laquelle il donna une large place aux arts, facilitant la convocation des classes humbles dans le collège universel de la culture, de la socialisation ludique et de la piété évangélique ».

Bibliographie

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