Confinement

Homélie du 30 mars

Du P. François Weber

La 5e semaine de carême est très particulière : c’est une semaine de transition entre le carême et la Semaite Sainte. Elle peut être justement appelée Première Semaine de la Passion. Déjà, en effet, la préface change et devient celle de la Passion. Les lectures brèves (ou capitules) des offices sont celles de la Semaine Sainte. On peut si l’on veut passer aux hymnes de la Semaine Sainte.

C’est à cette occasion que j’aimerais vous présenter deux hymnes de la Passion composées par le même auteur, à savoir saint Venance Fortunat, qui finit évêque de Poitiers : celui des laudes aujourd’hui, En Acetum, et celui des vêpres demain, Vexilla Regis.

Voici le texte et la traduction de l’En Acetum, que l’on peut trouver sur le très beau site societas laudis (office des laudes).

Une version chantée (par un groupe de Franciscains italiens) est disponible sur Youtube.



En acétum, fel, arúndo, Voici vinaigre, fiel, roseau,
sputa, clavi, láncea ; crachats, clous et lance !
mite corpus perforátur, Le doux corps est transpercé,
sanguis, unda prófluit ; le sang et l’eau ruissellent ;
terra, pontus, astra, mundus terre, mer, astres et monde ,
quo lavántur flúmine ! quel fleuve vous lave !

Crux fidélis, inter omnes

Croix fidèle, arbre unique
arbor una nóbilis ! noble entre tous !
Nulla talem silva profert Nulle forêt n’en produit de tel
flore, fronde, gérmine. avec ces feuilles, ces fleurs et ces fruits !
Dulce lignum, dulci clavo Douceur du bois, douceur du clou,
dulce pondus sústinens ! qui porte un si doux fardeau !

Flecte ramos, arbor alta,

Fléchis tes branches, grand arbre,
tensa laxa víscera, relâche le corps tendu ;
et rigor lentéscat ille assouplis la dureté
quem dedit natívitas, recue de la nature
ut supérni membra regis aux membres du roi des cieux
miti tendas stípite. offre un appui plus doux.

Sola digna tu fuísti

Toi seul as mérité
ferre sæcli prétium, de porter la rançon du monde
atque portum præparáre et de lui préparer un hâvre
nauta mundo náufrago, après son naufrage,
quem sacer cruor perúnxit Toi qui fus oint du sang sacré
fusus Agni córpore. jailli du corps de l’Agneau.

Æqua Patri Filióque,

Au Père et à Son Fils,
ínclito Paráclito, à l’illustre Consolateur,
sempitérna sit beátæ à l’heureuse Trinité,
Trinitáti glória, gloire égale et éternelle,
cuius alma nos redémit car Sa grâce bienfaisante
atque servat grátia. Amen. nous rachète et nous sauve.

Cette hymne des laudes est la deuxième partie d’un long poème : le Pange Lingua, littéralement “chante, ma langue”. Tel est l’incipit d’un psaume que le français préfère traduire par : “chante, ô mon âme (la louange du Seigneur)”.

Deux hymnes latines commencent d’ailleurs par ces paroles : celui-ci et la célèbre hymne de St Thomas d’Aquin composée pour l’office du Saint-Sacrement et qui comprend le fameux Tantum ergo.

Bien que nous rangions tous ces médiévaux dans un même panier, saint Venance précède saint Thomas de presque 7 siècles. A son époque, le Mystère Pascal est encore regardé dans son unité – voir la réflexion du P. Bombardier sur le crucifix de San Damiano dans sa méditation de vendredi dernier. C’est bien la Croix glorieuse qui est vénérée ici, la source de toute guérison.

Attaquons-nous d’amblée au passage le plus délicat du poème : certes, le Mystère pascal est saisi dans son unité, certes la Croix est contemplée comme glorieuse, mais de là à parler d’un “doux bois” et d’un “doux clou”, c’est d’un goût assez douteux.

Littéralement, il est dit : “Doux bois, par un doux clou, qui portes le doux poids”. La figure poétique serait appelée dans la critique littéraire contemporaine une “métonymie”, un glissement de sens : la douceur du “fardeau” s’étend à l’ensemble des choses qui le touchent. Dans la philosophie médiévale ce serait une “analogie d’attribution” : la douceur s’étend à tout ce qui est relié au Sauveur. On voit bien, du reste, que les aspects douloureux de la crucifixion sont bien présents à la pensée du poète : le paragraphe suivant demande à l’arbre de se fléchir pour atténuer la tension qui tient le Christ droit en l’empêchant de respirer.

C’est bien dans cette contemplation du Seigneur qu’il nous entrer désormais. Nous pensons à toutes les personnes atteintes par la maladie actuelle et qui, comme le Seigneur, sont privées de souffle et mystérieusement rejointes par lui dans leur solitude.

Bouches bées comme les rois de jadis évoqués par Isaïe – voir à nouveau la méditation de vendredi dernier – nous regardons “quel fleuve” lave la Création toute entière.

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